Le chien est un être sensible qui mérite mieux que la hiérarchie.

Article paru dans le n° 177 (septembre-octobre 2015) de la revue « Centrale Canine Magazine ». Auteur : Dr Isabelle Vieira.

A l’occasion du troisième symposium international d’éthologie vétérinaire, le Dr. Isabelle Vieira a fait part des dernières recherches portant sur la hiérarchie homme – chien. Elle est vétérinaire comportementaliste et enseigne l’éthologie clinique dans les écoles vétérinaires de Maison Alfort et de Lyon. Nous vous proposons de larges « morceaux choisis » de son article.

« Dans la plupart des cas, l’humain prend un chien dans un but soit d’utilité, soit de compagnie. Le chien est entré dans les familles comme un membre à part entière et il vient de lui être accordé son caractère « d’être sensible » par la loi. A l’opposé, pendant des décennies, il a été répété que le chien devait être dominé et subordonné à l’homme qui était impérativement le chef de meute. Cette notion de hiérarchie homme-chien a fait l’objet de nombreuses recherches en éthologie… »

« Le chien est aujourd’hui l’animal domestique le plus proche de l’homme. Il l’accompagne dans bon nombre de ses activités, le suit partout… Il est aussi amené à intégrer, de façon autonome, le domaine de vie des humains en y restant seul de longues heures, contraint d’être sage du matin au soir, et calme du soir au matin. Il améliore le bien-être des personnes fragiles et handicapées. Il est un excellent catalyseur des relations sociales. Sa présence dans les familles améliore le développement des enfants. Il nous fait du bien. Malgré toutes ces qualités, les exigences de l’humain vont croissant au fur et à mesure du développement de notre société occidentale, et les caractéristiques émotionnelles et cognitives (ce qui touche aux fonctions de l’esprit) du chien sont très peu prises en compte ».

L’auteur termine cette introduction en affirmant que les contraintes de notre vie moderne, la problématique des morsures, le radicalisme anti-chien de certains et les mesures législatives à but sécuritaire ont favorisé les méthodes éducatives autoritaires basées sur le concept de la hiérarchie. Et pourtant à ses yeux « … la convergence des études en éthologie (1), sociologie et psychologie devrait nous redonner un certain sens du commun sur les notions de perception et de cognition (2) chez le chien, sur le point de vue de l’animal face à notre monde… Le chien a trop longtemps été considéré comme un loup apprivoisé, incluant la notion de meute et de hiérarchie… » Et de conclure en affichant sa méfiance vis-à-vis « des transpositions aveugles ».

 

Ce que le chien perçoit et comprend de notre monde.

L’auteur rappelle que les capacités de perception et de cognition diffèrent entre le chien et l’homme, que le chien nait sourd et aveugle et ne commence à découvrir le monde qui l’entoure qu’à trois semaines de vie. Il va mémoriser toutes ces découvertes et parmi elles, l’homme qui le touche et lui amène à manger. « … Il appréhende le monde humain à sa manière, bien différente de la nôtre. A ce moment, aucun chiot n’a envie d’agresser un humain, mais aucun chiot ne sait si l’humain sera un être bienveillant pour lui. Le chien va apprendre progressivement, par association, à se méfier ou à faire confiance ».
Le Dr. Vieira rappelle que des chiens qui retournent à la vie sauvage, contrairement aux loups, ne se regroupent pas en meute structurée et hiérarchisée. Les scientifiques ont en effet montré qu’ils restent seuls ou vont par paire, qu’il y a très peu de compétition entre eux et qu’on observe surtout de la coopération, des jeux et des relations amicales. « C’est pourquoi je pense, que dans le milieu humain, il n’y a aucune bonne raison pour parler de prérogative de dominant ».
« De récentes thèses de recherche ont montré que les chiens qui dorment dans le lit des humains montrent moins d’agression envers ces humains que les chiens vivant avec une moindre proximité de leurs maîtres. Quand le chien s’installe dans le lit ou sur le canapé, il n’a pas l’intention d’acquérir un statut particulier et encore moins de montrer une quelconque dominance. Il me semble que ce terme est utilisé un peu partout de façon abusive pour exprimer un caractère affirmé, un statut de chef, une étiquette sociale ». L’auteur rappelle qu’en éthologie, le concept de dominant désigne un « individu gagnant à l’issue d’un conflit entre deux protagonistes ». Elle pense que « d’utiliser continuellement le terme de dominant pour désigner un chien qui grogne, qui chevauche ses maîtres, qui lève la patte dans la maison, qui réclame de la nourriture, qui accueille les invités et saute sur les gens, ou qui se couche dans les passages ou apporte ses jouets est une habitude qu’il est temps de savoir réviser. »

Pour ce qui est du grognement, elle nous rappelle que cette action doit toujours être replacée dans son concept et qu’il est nécessaire de se souvenir de quelques définitions. « L’agression est un comportement d’adaptation qui vise à éloigner un danger et à s’en protéger. Elle n’a jamais pour but de blesser, de faire mal, ou de se venger ou de vouloir dominer ». Comment un chien peut-il se protéger d’un danger ? En s’aplatissant au sol, en faisant le mort, par la fuite ou au contraire, en affrontant le danger par un conflit dont l’issue est incertaine. L’animal peut donc, s’il le décide, agresser le danger. Le rôle de la sélection raciale et individuelle dans cette prise de risque est souligné. « Afin de ne pas dépenser plus d’énergie que nécessaire, l’agression débute par des signaux d’intimidation (grognement, babines retroussées…). Si le danger persiste ou se rapproche, l’acte de morsure devient la seule solution. C’est pourquoi, quand un chien reçoit une sanction verbale (le maître crie) et qu’il grogne, c’est pour exprimer sa peur car le maître lui apparaît comme menaçant, donc dangereux, sans qu’il y ait un espace de fuite suffisant. Si le grognement est sanctionné, le chien a encore plus l’impression que son maître est un élément dangereux, et d’autre part, il va passer à la morsure car il apprend que le grognement n’est pas suffisant pour faire fuir le danger. Ainsi plus le maître voudra avoir le dessus, plus le chien va devenir agressif ».
Pour l’auteur, la fermeté et l’autoritarisme de l’humain face à un chien qui grogne est un contresens éthologique et un acte de maltraitance, c’est ignorer l’état émotionnel du chien et ses moyens d’expression. « L’agressivité s’apprend par accumulation d’interactions conflictuelles… ce cercle vicieux a généré, depuis des décennies, de nombreuses morsures avec une mauvaise compréhension de leurs causes et de leurs conséquences émotionnelles ».

 

Ce que le chien construit avec l’homme.

Pour le Dr. Vieira, les choses sont claires. Le chien n’a aucune envie d’entrer en conflit avec son maître et encore moins de le dominer. Pour elle, la notion de chien qui testerait son maître pour chercher, par différentes actions, à le dominer, est une idée reçue fausse mais encore trop largement répandue. « A son arrivée dans son nouveau foyer, le chien explore les lieux et apprend son nouvel environnement. Son maître devient lui aussi un individu à explorer et dont il découvre chaque jour la bienveillance ou la malveillance. Il va devoir construire une relation avec son « humain de compagnie » qui sera de bonne ou de mauvaise qualité. La domestication a fait du chien un être très proche de l’humain mais son développement comportemental est déterminant dans la qualité des relations qu’il va bâtir avec lui. « Chaque interaction est signifiante et l’ensemble des interactions définit la relation. Cette relation est changeante à tout instant et se modifie à chaque interaction. Des chercheurs ont mis en évidence une relation entre la nature des interactions et l’équilibre émotionnel du chien, ainsi qu’entre les émotions et les capacités de mémorisation et d’évaluation des choses ».

La complexité des liens qui unissent l’homme et le chien est de plus en plus étudiée et l’on sait que les facultés d’adaptation du chien sont très dépendantes de son tempérament. Chez un chien sûr de lui, sensible et très réactif, une interaction négative du maître aura tendance à générer de l’agressivité et une perte de confiance vis-à-vis de l’humain. Au contraire, chez un chien timide, réservé et résigné, il en découlera une attitude très soumise qui donnera l’impression d’un chien très obéissant mais dont la qualité de vie est en fait mauvaise.

« Le chien construit avec son maître un capital confiance qui se caractérise par une plasticité et une fragilité caractéristique de ce type de lien entre deux espèces différentes. A tout moment il est possible de reconstruire de la confiance quand la méfiance s’est installée. Chez certains chiens très émotifs ça peut prendre du temps. C’est pourquoi il est fortement conseillé de bannir les interactions négatives surtout dans le jeune âge, en période de développement ».

 

Pourquoi la punition est-elle contre-productive ?

« Les interactions négatives se caractérisent par leur finalité punitive. Lorsqu’un chien a mal agi, il faudrait le sanctionner pour lui faire comprendre…. » D’après l’auteur, le problème fondamental est le suivant : nous avons du mal à appréhender ce que notre chien comprend ! Notre action sur le chien est teintée d’anthropomorphisme : nous pensons que la punition permet au chien de comprendre qu’il a mal agi. Or il n’en est rien car son monde n’est pas le nôtre et il ne connaît pas les notions de morale et de justice qui gouvernent le monde des hommes.
« Dans le monde du chien il n’existe pas de bons et de mauvais comportements. Aucun comportement ne mérite punition. C’est le meilleur qui gagne. Or sanctionner un chien se résume à l’agresser. Il s’agit d’une interaction négative qui contribue à détruire la qualité du lien entre l’homme et le chien. Lorsque le chien fait une bêtise, si le maître le sanctionne régulièrement, même pris sur le fait, le chien finit par ranger son maître dans la catégorie des agresseurs et cela détruit la confiance qu’il lui faisait à priori. Le tort est de croire qu’en le punissant, il comprendra que c’est mal. Le chien n’associe pas ses actes aux punitions qui sont sensées le décourager de recommencer, mais associe la situation et les acteurs qui sont présents à une stimulation désagréable. Ensuite il peut généraliser et fini par ranger son maître voire tous les humains dans la catégorie des choses désagréables ».
Autre exemple, celui du chien qui tire sur sa laisse en croisant un congénère. Le réflexe de nombre d’humains est de donner une saccade sur la laisse, sensation désagréable qui fera qu’à la fin, le chien associera une sensation désagréable à tous les congénères qu’il croisera ce qui accentuera ses réactions émotionnelles à chaque rencontre et ainsi de suite jusqu’à générer de l’agressivité vis-à-vis des autres chiens. De même le chien puni pour avoir fait pipi dans la maison. Il ne comprend pas que c’est le lieu du pipi qui est mauvais et associera son maître à une sensation désagréable chaque fois qu’il urinera. Au final, on retrouve des chiens n’urinant que loin de leur maître, ne faisant jamais pendant la promenade en laisse ou qui ingéreront leurs déjections pour ne pas être puni. Et pour finir l’exemple du rappel avec un chien qui met du temps à obéir. Il ne peut comprendre que de revenir plus tôt aurait été récompensé. Sanctionné pour avoir mis du temps à obéir va lui faire associer son retour à la punition ce qui n’améliorera pas ses performances en ce domaine.
« Les exemples sont nombreux où l’humain agresse le chien pour lui faire comprendre qu’il doit obéir et qu’il n’est pas le chef. Si le chien subit ces méthodes avec résignation, l’efficacité n’a d’égal que la souffrance émotionnelle et on sous-estime bien trop la piètre qualité de vie de ces chiens. Si le chien refuse de subir ces méthodes et n’accepte pas que son maître soit le père fouettard, il développera des agressions dans un nombre croissant de situations et sera étiqueté à tort de « dominant ». Si les réactions humaines sont d’être alors encore plus ferme, comme on le lit encore dans certains manuels de dressage, l’accident de morsure grave ne tarde pas à arriver et on connaît la suite……le chien fini sa vie sous la piqûre de l’euthanasie par la bêtise humaine qui n’aura pas su lire, comprendre et respecter l’expression de ses émotions ».
On sait que pour un chien, la non connaissance des conséquences d’une action est source d’une grande angoisse d’où la dangerosité d’une éducation punitive. Dire au chien « fais ce que tu veux et je te dirais après si c’était bien » est la meilleure façon d’aboutir au conflit. Un humain qui agit mal le sait et sait ce qu’il risque. Le chien lui ne sait pas toujours quelle sera la conséquence de ses actes. Bref, du point de vue de l’auteur, une éducation punitive est injuste et contre-productive du fait de ses conséquences désastreuses sur la relation entre le chien et son maître et parce qu’elle est incompréhensible et anxiogène pour le chien. Il faut prôner l’attitude inverse, une éducation directive au cours de laquelle le maître anticipe les bêtises de son chien et le guide vers les bonnes actions qu’il récompensera. « C’est dans ce statut de coach et de leader bienveillant que l’homme bâtit une relation de qualité. L’éducation positive, qui bannit toute forme de hiérarchie, de soumission, de subordination et prend en considération les états émotionnels des chiens commence heureusement à être reconnue en France et de nombreux professionnels en ont fait leur cheval de bataille pour diffuser les bonnes pratiques éthiques et respectueuses du vivant ».

 

Et l’auteur de conclure :

« …le chien est un animal sensible, intelligent et doté d’une grande capacité à associer les événements. Il n’a aucune construction hiérarchique dans sa tête en pénétrant dans un groupe humain. Il entre dans une famille sans savoir si elle va lui apporter confiance et sécurité ou méfiance et anxiété. Il revient à l’humain de regarder son chien, de le considérer et de l’estimer pour ce qu’il est, et de construire une relation de qualité ».


 

(1) Ethologie = étude du comportement

(2) Cognition = ensemble des opérations intellectuelles ou mentales que réalise un être vivant dans l’élaboration d’un savoir sur le monde et/ou dans la construction de son monde propre.