Attachement du chiot

Rédaction Dr. Jean-Marc Wurtz

Le vendredi 7 septembre, dans le cadre de la nationale d’élevage du retriever club de France, le Dr. T Bedossa, praticien vétérinaire féru de tout ce qui touche au comportement animal est venu parler des mécanismes qui conduisent le chiot à s’attacher à ses congénères et à l’homme. Tout son exposé s’intégra fort naturellement dans un échange riche et passionnant avec la salle.

La biologie de l’attachement est à présent bien connue chez les mammifères supérieurs, les mécanismes entrant en jeux dans ce processus étant les mêmes chez toutes les espèces y compris chez l’homme. Tout commence dès le stade de vie intra-utérine, période au cours de laquelle la mère et le fœtus vont se mettre à échanger et à communiquer entre eux comme l’atteste les données issues des études fœtales faisant appel à l’imagerie et en particulier à l’échographie. Ces mécanismes vont atteindre leur sommet dans les jours précédant la mise bas, les futurs chiots étant alors plus réceptifs aux signaux issus du monde extérieur qu’ils ne le seront dans les jours suivant leur naissance. De la richesse et de la qualité de ces échanges entre la mère et ses futurs chiots, encore douillettement lovés dans les cornes utérines, dépendra en grande partie la qualité relationnelle de leur vie future.

Pendant cette période de vie intra-utérine, les fœtus profiteront en tout premier lieu des contacts tactiles qui auront lieu entre leur mère et l’éleveur et notamment, les caresses que ce dernier prodiguera sur le ventre de la chienne. Les fœtus sont également très réceptifs aux sons venus de l’extérieur, sons qui sont amplifiés par l’élément liquide dans lequel ils baignent. Il en va de même pour les ultrasons et tout type de vibration émis depuis le monde extérieur. Mais leur univers liquide véhicule également quantité de molécules odoriférantes et il se trouve que nos futurs chiots ont, avant de naître, le sens de l’odorat. C’est donc déjà par le biais de l’odorat qu’ils vont fixer leurs premiers repères et leurs premières références qui vont influencer leur réceptivité à leur nouvel environnement dans les jours qui suivront leur venue au monde. C’est ainsi que dès leurs premiers instants de vie, les chiots vont reconnaître leur mère et uniquement elle.

Une autre dimension de la vie intra-utérine à prendre en considération, les échanges sanguins entre la mère et ses futurs chiots par le biais des placentas. Ces échanges vont notamment porter sur des substances appelées neurotransmetteurs, molécules synthétisées par le tissu nerveux cérébral et dont la nature et la quantité seront fortement influencés par les états émotionnels de la chienne. Ces états émotionnels vont donc retentir directement sur les fœtus permettant de comprendre pourquoi une mère stressée pendant sa grossesse donnera naissance à des chiots stressés et nerveux alors qu’inversement, le bien-être de la mère engendrera le bien-être chez ses chiots. Enfin, ces mêmes échanges sanguins participeront à la modulation du développement cérébral des futurs chiots venant se rajouter à l’action que le patrimoine génétique exercera en ce domaine.

Puis vient le grand jour, celui de la naissance, véritable rupture biologique pour ces petits êtres qui, en passant de l’état de fœtus à celui de chiots, passent aussi de la vie en milieu liquide à la vie en milieu aérien. La mère aussi va connaître une rupture, mais une rupture hormonale puisque ses hormones sexuelles et hypophysaires vont voir leur taux brutalement modifié. Les taux de progestérone s’effondrent alors que ceux de l’oestradiol, de l’hormone luthéinisante et des prostaglandines augmentent en flèche. Il en résulte l’installation d’un état d’anxiété chez la chienne conduisant celle-ci à modifier ses habitudes et son comportement.
Cette anxiété va conduire la mère à majorer son degré de vigilance, ce qui tombe à point nommé maintenant qu’elle a à veiller en permanence sur sa portée, et c’est à ce moment là que va se développer l’attachement de la chienne pour ses chiots. De l’anxiété de la mère naît son attachement pour ses chiots.
Durant les premiers jours de vie, les chiots auront une vie expressive se résumant à des vocalises, des mouvements et des variations de leur température corporelle, tous ces signaux ayant le pouvoir de mettre en alerte la mère qui y répondra par un comportement approprié. Cet attachement spontané de la chienne pour ses petits est donc l’un des principaux éléments permettant la survie de ces derniers. Mais cette vigilance va peu à peu se relâcher avec le temps. En cause, le retour à la normale de son état hormonal et en particulier, de l’abaissement de son taux de prolactine qui va entraîner une réduction de son anxiété.
Il faut à ce stade évoquer le poids de l’expérience de la chienne, expérience acquise au gré de sa vie passée et qui lui ont permis un certain degré d’apprentissage. Ainsi, une chienne ayant mal vécu une grossesse précédente au cours de laquelle elle s’était révélée être une bonne mère peut se montrer mauvaise mère avec sa portée suivante. On pourra retenir pour exemple celui d’un allaitement mal vécu en raison de douleurs engendrées par une mammite du post partum ou encore une chienne ayant été négativement influencée par un éleveur trop inquiet au cours de la grossesse ou de la mise bas précédente.

Et le Dr. Bedossa pose alors la question de savoir s’il ne serait pas intéressant de prendre en compte dans l’élaboration des grilles de sélections, outre les critères morphologiques et les aptitudes au travail, les capacités d’une chienne à être une bonne mère.

Retour aux chiots. La période allant de leur naissance à leur dixième jour de vie est le seul moment de leur existence où leurs comportements sont le résultat exclusif de leur programmation génétique et où l’environnement dans lequel ils évoluent n’a aucune influence. Puis jusqu’au quatrième mois de vie, l’environnement va beaucoup influencer leur développement cérébral. Leur aptitude à s’attacher à un autre être va s’exprimer dès les tous
premiers jours. Le froid, la faim et l’isolement vont générer un état de détresse que les chiots, qui passent la presque totalité de leur temps à dormir, exprimeront par des vocalises et des mouvements corporels. Le mère, mise en alerte, va réagir en allant au contact des chiots et en les allaitant. Les chiots sont alors en contact physique direct avec leur mère et la fratrie. La sensation de chaleur qui naîtra de ce contact et l’apport de nourriture vont apaiser les chiots.
De cet apaisement naîtra le processus d’attachement des chiots à leur mère et à leurs frères et sœurs. L’absence d’apaisement à ce stade de leur vie empêche la mise en place normale des mécanismes physiologiques d’apaisement, mécanismes qui vont régir pour toute la durée de leur vie leur aptitude à s’attacher à autrui. A ce stade de la vie, cet attachement n’est pas encore individuel, le chiot s’attachant à tout ce qui l’apaise. Cet apaisement apporté par la chienne à ses chiots ne peut s’effectuer convenablement que si la chienne évolue dans un environnement favorable et ceci est vrai même pour des chiennes génétiquement aptes à être de bonnes mères. On comprendra aisément qu’une pathologie touchant la chienne dans la période suivant la mise bas, de par l’inconfort qu’elle génèrera chez elle, pourra compromettre ses capacités à rester attentive à ses chiots, donc à les apaiser correctement et au moment voulu.

Progressivement, les aptitudes motrices et sensorielles des chiots vont se développer, fruit du développement cérébral. L’installation du tonus musculaire vers le vingtième jour va enrichir leur expression corporelle par des mouvements de plus en plus complexes puis par la locomotion. L’ouille et la vue vont se développer. A ce stade, le développement cérébral nécessite une alimentation riche en matières grasses. On est en droit de s’interroger si une bonne mère produit un lait plus riche en matières grasses qu’une autre. Alors que nos chiots deviennent plus mobiles et s’ouvrent au monde extérieur, leur mère va à présent se montrer de moins en moins maternelle. Elle va laisser les chiots, à présent aptes à se déplacer plus facilement, s’éloigner d’elle. Le stress induit chez les chiots par ces premières périodes de séparation trouvera son apaisement dans le retour vers leur mère. C’est ainsi que va naître la capacité à reconnaître spécifiquement leur mère. C’est le début du processus d’attachement individuel qui va s’installer jusque vers le quarante cinquième jour de vie. Cet attachement spécifique qui s’est créé entre la chienne et chacun de ses chiots va faire que chaque chiot sera attiré vers tout autre individu entretenant cette même relation d’attachement spécifique avec sa mère. Il en résulte l’attraction des chiots d’une même portée entre eux et de fait, l’installation de l’attachement individuel entre membres d’une même fratrie. Ainsi s’achève la mise en place des processus d’attachement dits primaires.
A partir de quarante cinq jours, la mère va se voir aidée puis relayée dans l’éducation et la prise en charge de sa portée. C’est le début de l’attachement secondaire. Les chiots vont à présent être aptes à s’attacher à tout individu autre que leur mère qui sera apte à leur procurer l’apaisement et parmi ces individus, l’homme. Progressivement la part d’apaisement apportée par la mère va se réduire au profit de celle apportée par l’homme. Ainsi débute la cohabitation du chiot avec l’homme avec toute la richesse d’échanges qui va se développer. L’étude de cette nouvelle tranche de vie qui s’ouvre à notre chiot et qui va s’enrichir toute sa vie durant montre que le chien est un individu socialement aussi performant que l’homme. La réduction du couple homme-chien au binôme dominance soumission est à présent totalement dépassée. La vie sociale d’un chien est bien plus complexe que cela.

« Le chien actuel n’est plus un loup, des millénaires de domestication sont passés par là…. »
Un attachement bien construit prime toujours sur les conflits reléguant souvent au second plan les schémas hiérarchiques.

Intervention retranscrite avec l’aimable autorisation de l’orateur